Prod2-Albi. Le match de Robert.

IL y a quelques chroniques de cela, je vous avais parlé de Jocelyne, la tendre épouse si compréhensive de la passion de son mari.
Et bien je vais vous parler de Robert, son mari. Robert en ce lundi 24 avril, il stresse comme disent les jeunes. Il stresse du match à venir, que dis-je : LE MATCH. Pas celui du second tour des présidentielles, non. Celui qui l’intéresse, c’est celui de vendredi qui va opposer Albi à Agen. Ce n’est pas un match de rugby comme il en a vu des centaines mais c’est le match qui lui permet encore d’espérer que son club, Albi, se maintienne en Prod2. Il sait que ses protégés doivent gagner leurs deux derniers matches et que peut-être ça ne sera pas suffisant. Mais vendredi Albi va recevoir Agen qui, lui aussi, doit gagner LE MATCH pour finir champion. Agen avec son effectif quatre étoiles qui s’est lancé de finir invaincu depuis la défaite à domicile contre Oyonnax. Alors Robert se dit que Mauricio REGGIARDO, entraîneur des avants agenais, ne va pas faire ce coup tordu aux tarnais lui qui fut leur éphémère manager l’an passé.
Ce lundi matin il s’est précipité chez le kiosquier pour dévorer l’hebdomadaire du rugby où il s’est effrayé à la lecture de l’article sur l’exode de ses protégés. Alors il s’est mis à rechercher des signes du destin dans le « si je laisse passer la vieille au passage clouté Albi tape Agen». Plus les jours vont passer, plus ça va aller crescendo. Jocelyne lui reprochera de ne s’intéresser à rien d’autre qu’à son foutu rugby. Elle lui jettera même un cinglant « vivement qu’ils descendent » en pleine figure jeudi soir quand il n’aura pas décroché un mot du repas.
Lui, vendredi matin, il la maudira sa Jocelyne de ne pas lui avoir lavé son caleçon fétiche compagnon de tant de victoires mais d’autant de défaites aussi… Les frites de la cantine du midi auront un gout étrangement amer et la journée lui paraitra interminable jusqu’au match. LE MATCH. Ces 100 minutes où il oscillera entre espoir et résignation.
Peut-être que vers 21h45 il se lèvera en attrapant le bras gauche du gars à coté, autre compagnon d’émotion, et lui criant le fameux « je te l’avais dit » plein de joie mais aussi plein de doute. Car il restera encore une ultime étape. Alors il rentrera chez lui, trouvera la soirée particulièrement douce. Il aura même envie de s’en griller une petite avant d’aller retrouver Jocelyne déjà couchée. Son épouse qu’il trouvera particulièrement en beauté… Elle, pas bégueule, le rabrouera pour la forme, contente que son Robert de mari soit heureux. Contente surtout de savoir que le lendemain il s’occupera enfin de ranger le garage et de tondre la pelouse sans rechigner !
Ou alors Robert restera assis, interdit. Il ne verra pas son voisin de gauche le saluer et lui lancer un « à bientôt». Il se demandera qui est ce qui a bien pu se passer pour que son club chéri en soit arrivé là alors qu’il y a dix ans, il pestait contre l’augmentation du prix des abonnements en Top14. Quand il se couchera, Jocelyne ne verra pas que son mari a les yeux rougis. Qu’elle se rassure, il ira quand même ranger le garage et tondre la pelouse car il voudra trouver des échappatoires pour ne pas repenser à ce fameux match et surtout se dire qu’est-ce qu’il va pouvoir bien faire les vendredis de la saison prochaine ? Il fera une heureuse, Jocelyne qui n’aura plus à appeler une copine pour l’accompagner au cinéma ou au théâtre. Elle ira avec Robert et ils pourront se disputer sur le choix des programmes. Et Robert lui ? Ira-t-il encourager son club de cœur ferrailler le samedi ou le dimanche dans un poule de fédérale dite élite mais qui n’a d’élite que le nom car elle voit mourir d’anciens bastions du rugby français au profit de nouveaux riches bâtis à coup de millions par d’ambitieux mécènes se rêvant en nouveaux Mourad Boudjelal ? Mais Robert ne veut pas y penser, il a trop peur que l’inéluctable brise 15 ans d’habitude. Cette habitude dans laquelle il se complait et qu’il ne veut pas quitter. Non, ça Robert ne veut pas y penser. Il a trop peur. Il ne veut penser qu’au match. LE MATCH.
RS.